Désignation des formations de jugement et exigences du droit de l’Union européenne relatives à l’indépendance des juges

Conformément à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, les États membres de l’Union européenne sont tenus d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union. Selon la jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, cette obligation concrétise la valeur de l’État de droit affirmée à l’article 2 TUE, sur laquelle l’Union est fondée (Associação Sindical dos Juízes Portugueses, aff. C-64/16). Dans l’arrêt du 1er août 2025 (Daka, aff. jointes C-422/23, C-455/23, C-459/23, C-486/23 et C-493/23), la Cour de justice a apporté des clarifications importantes quant à l’application de ces dispositions aux règles nationales en matière de désignation des formations collégiales de jugement.
La Cour de justice a statué à la suite d’une saisine introduite à titre préjudiciel par la chambre civile de la Cour suprême polonaise. Cette juridiction nourrissait des doutes quant à sa propre indépendance en raison de la manière dont les formations collégiales de trois juges avaient été temporairement constituées en son sein. A cet égard, elle relevait notamment que, dans chacune de ces formations, siégeaient, outre un juge de la chambre civile, deux juges affectés à la chambre du travail et des assurances sociales de la Cour suprême polonaise, tout en continuant de siéger dans leur chambre d’origine. Par conséquent, ladite désignation impliquait une augmentation de la charge de travail pour des juges concernés et les contraignait à traiter des matières étrangères à leur domaine de spécialisation. En outre, ces juges avaient été désignés pour siéger au sein de la chambre civile sans leur consentement et sans disposer d’aucune voie juridictionnelle pour contester cette désignation. Enfin, cette dernière avait été décidée par la première présidente de la Cour suprême polonaise, laquelle, selon la juridiction de renvoi, aurait été nommée juge à cette juridiction dans des conditions incompatibles avec le droit de l’Union. A la lumière de ces circonstances, la juridiction de renvoi a fait valoir que les mesures en cause étaient susceptibles de porter atteinte aux principes d’inamovibilité et d’indépendance des juges et a décidé de saisir la Cour de justice à titre préjudiciel.
Dans son arrêt, la Cour de justice a d’abord rappelé que tout État membre doit, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, veiller à ce que les instances relevant de son système de voies de recours satisfassent aux exigences d’une protection juridictionnelle effective, dont celle de l’indépendance. Cette disposition impose également l’existence d’un tribunal « établi préalablement par la loi » qui concerne non seulement la base légale de l’existence même du tribunal, mais également la composition de la formation de jugement dans chaque affaire.
Néanmoins, la Cour de justice a relevé qu’il est légitime, pour les États membres, de prévoir les conditions dans lesquelles le président d’une juridiction est habilité à prendre des mesures imposant temporairement aux juges de cette juridiction une double affectation, à la fois dans leur chambre d’origine et dans une autre chambre de ladite juridiction. De telles mesures peuvent en effet être indispensables à l’organisation interne des travaux d’une juridiction, eu égard aux impératifs liés à la nécessité d’assurer une bonne administration de la justice et au respect du principe du délai raisonnable. La Cour de justice a ajouté que le fait que la présidente de la Cour suprême polonaise aurait été nommée dans des conditions incompatibles avec les exigences de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE ne suffit pas, en soi, à conclure que les formations de jugement ainsi constituées ne peuvent être considérées comme un tribunal indépendant et impartial établi préalablement par la loi.
Cela étant, la Cour de justice a soulignéque de telles mesures ne doivent pas cibler certains juges en raison des positions qu’ils auraient prises dans le passé. En revanche, la circonstance que ces mesures peuvent entraîner un accroissement de la charge de travail des juges concernés et les obliger à traiter des matières étrangères à leur domaine de spécialisation n’est pas pertinente à cet égard. Enfin, le fait que les mesures en cause au principal aient été adoptées sans le consentement des juges concernés, et sans que ces derniers disposent d’aucune voie de droit pour les contester, ne saurait constituer une violation des principes d’indépendance et d’impartialité.
Par son arrêt, la Cour de justice confirme que l’organisation de la justice relève de la compétence des États membres et que seules des atteintes manifestes et structurelles à l’indépendance du judiciaire peuvent être jugées contraires au droit de l’Union. Les États membres sont ainsi libres d’adopter des mesures organisationnelles affectant des juges nationaux, telles que celles relatives à la formation collégiale de jugement, pour autant qu’elles poursuivent des motifs légitimes, tenant notamment à une bonne administration de la justice. Enfin, si le droit de l’Union exige que la décision de justice mettant fin à une instance dans des procédures disciplinaires entamées à l’encontre des juges soit rendue par une juridiction pleinement indépendante (W.Ż., aff. C‑487/19), le même degré d’indépendance n’est pas requis pour l’adoption des mesures relatives à l’organisation interne des travaux d’une juridiction.
Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Désignation des formations de jugement et exigences du droit de l’Union européenne relatives à l’indépendance des juges, actualité n° 28/2025, publiée le 5 septembre 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch