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La protection de l’environnement et les libertés fondamentales du marché intérieur de l’Union européenne

Mateusz Miłek – 17 July 2025

Dans un arrêt du 10 juillet 2025, aff. C-254/23 INTERZERO, la Cour de justice a apprécié l’instauration d’un monopole portant sur l’activité de mise en œuvre collective des obligations en matière de responsabilité élargie des producteurs au regard des règles du marché intérieur de l’Union européenne. L’affaire portait sur une nouvelle loi slovène relative à la protection de l’environnement qui a instauré un régime conformément à l’article 8 de la directive 2008/98/CE relative aux déchets. Afin de réduire le volume des déchets à traiter, cette loi prévoyait que, pour les producteurs mettant sur le marché au moins 51 % de la quantité totale du produit concerné, la mise en œuvre des obligations en matière de responsabilité élargie devait être assurée par une organisation unique agissant sans but lucratif.

Un certain nombre d’opérateurs exerçant l’activité de gestion de déchets ont entamé une procédure de contrôle de constitutionnalité à l’encontre de la loi en question devant la Cour constitutionnelle de Slovénie. Cette dernière a constaté que la création d’une organisation chargée de la mise en œuvre collective des obligations en matière de responsabilité élargie des producteurs instaurait une situation de monopole, et s’est interrogée sur la conformité de celle-ci avec le droit de l’Union européenne, notamment avec la liberté d’établissement, consacrée à l’article 49 TFUE, et la libre prestation des services, garantie à l’article 56 TFUE. Elle a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel, sur le fondement de l’article 267 TFUE.

La Cour de justice a tout d’abord rappelé que la notion de « restriction », au sens des articles 49 et 56 TFUE, vise les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services, telles que les mesures prises par un État membre qui, bien qu’ indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les entreprises d’autres États membres. À cet égard, elle a jugé qu’une réglementation nationale qui soumet l’exercice d’une activité économique à un régime d’exclusivité en faveur d’un seul opérateur, public ou privé, constitue une restriction à la libre prestation des services et à la liberté d’établissement.

Néanmoins, il est de jurisprudence constante que les restrictions aux libertés fondamentales peuvent être admises à la condition d’être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général et de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elles soient propres à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi, et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre. À cet égard, le gouvernement slovène soutenait que la législation nationale visait une amélioration du système de responsabilité élargie des producteurs ainsi que du système de gestion des déchets issus de produits relevant de cette responsabilité en Slovénie, notamment en réduisant le volume de déchets à traiter, ce qui s’inscrivait dans la poursuite des objectifs de protection de l’environnement et de la santé publique. La Cour de justice a reconnu que de tels objectifs constituent des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services.

Quant à l’aptitude de la restriction à garantir la réalisation des objectifs poursuivis, la Cour de justice a indiqué qu’une réglementation nationale instaurant un monopole doit s’accompagner de la mise en place d’un cadre normatif propre à garantir que le titulaire de ce monopole sera effectivement en mesure de poursuivre les objectifs ainsi fixés, et être soumise à un contrôle strict de la part des autorités publiques. Ainsi, le droit de l’Union peut exiger l’imposition de certaines restrictions au titulaire d’un monopole, notamment en vue d’éviter tout risque de comportement abusif de sa part, susceptible de porter atteinte aux objectifs poursuivis.

Quant à la nécessité de la restriction en cause, la Cour de justice a précisé que les États membres sont libres de fixer les objectifs de leur politique en matière de gestion des déchets et de définir le niveau de protection de l’environnement et de la santé publique recherché, pour autant qu’ils agissent dans le respect des exigences posées par la directive 2008/98 et par d’autres réglementations sectorielles et pertinentes de l’Union. Ainsi, les États membres sont libres d’octroyer un droit exclusif d’exploitation à un organisme autorisé plutôt que d’adopter une réglementation imposant aux opérateurs économiques concernés les prescriptions nécessaires, pour autant que ce choix n’apparaisse pas disproportionné au regard du but recherché.

L’arrêt INTERZERO illustre que les États membres ne sauraient se soustraire aux exigences du marché intérieur de l’Union européenne, même lorsqu’ils poursuivent des objectifs de protection de l’environnement. Prenant en compte la finalité poursuivie, la Cour de justice admet néanmoins la possibilité de restrictions particulièrement substantielles, telle qu’une réglementation instaurant un monopole, à condition que celles-ci respectent le principe de proportionnalité. À la lumière de ces explications, il appartiendra désormais à la Cour constitutionnelle slovène d’examiner la compatibilité de la législation en cause avec le droit de l’Union, cette juridiction étant seule compétente pour trancher le litige au principal dans le cadre du renvoi préjudiciel.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, La protection de l’environnement et les libertés fondamentales du marché intérieur de l’Union européenne, actualité n° 23/2025, publiée le 17 juillet 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch

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