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Activités bancaires : échanges d’informations entre concurrents et application des règles de concurrence de l’Union européenne

Mateusz Miłek – 30 juillet 2025

Dans un arrêt du 23 juillet 2025, aff. T-84/22, UBS c. Commission européenne, le Tribunal de l’Union européenne a confirmé la participation de Credit Suisse à une entente dans le secteur des opérations de change au comptant, en violation de l’article 101 TFUE. Ce jugement a été rendu dans le cadre du recours en annulation introduit, sur la base de l’article 263 TFUE, par UBS, venant aux droits de Credit Suisse, contre la  décision C(2021) 8612 final de la Commission européenne. Dans cette décision, la Commission avait révélé que, entre 2011 et 2012, certains traders chargés des opérations de change et travaillant pour différentes banques (à savoir Credit Suisse, Barclays, HSBC, RBS et UBS) avaient échangé des informations sensibles sur un forum professionnel en ligne appelé « Sterling Lads ». Credit Suisse étant la seule banque à ne pas avoir coopéré avec la Commission européenne lors de l’enquête, celle-ci lui avait infligé une amende de 83,2 millions d’euros.

S’estimant lésée par cette décision, UBS a contesté celle-ci devant le Tribunal de l’Union européenne. À l’appui de son recours, elle a notamment soutenu que les échanges d’informations entre traders sur le forum ne sauraient constituer des accords anticoncurrentiels vissés à l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Le Tribunal a toutefois écarté cet argument, en rappelant la jurisprudence constante de la Cour de justice selon laquelle l’échange d’informations entre concurrents peut être contraire aux règles de la concurrence dès lors qu’il réduit le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché en cause.

De surcroît, la requérante a contesté la qualification des échanges d’informations en tant que restriction « par objet ». À ce sujet, le Tribunal a précisé que l’article 101, paragraphe 1, TFUE interdit les pratiques collusoires ayant « pour objet » ou « pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser sensiblement le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Cette distinction implique que la qualification de restriction « par objet » doit être interprétée strictement et ne peut s’appliquer qu’à certaines formes de coordination entre entreprises qui, par leur nature même, apparaissent suffisamment nuisibles à la concurrence pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en examiner les effets. Après avoir analysé le contexte juridique et économique du marché des changes au comptant, le Tribunal a confirmé l’appréciation de la Commission selon laquelle les échanges d’informations en cause constituaient une restriction « par objet ».

Le Tribunal a, en revanche, constaté que la Commission avait méconnu ses propres lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) n o 1/2003. En vertu du point 15 de ces dernières, la Commission doit utiliser, pour déterminer la valeur des ventes servant de base au calcul de l’amende, « les meilleures données disponibles » de l’entreprise concernée. Or, selon le Tribunal, certaines des données utilisées par la Commission étaient moins complètes et moins fiables que celles proposées par Credit Suisse au cours de la procédure administrative.

Enfin, le Tribunal a rappelé qu’en adoptant des règles de conduite telles que les lignes directrices pour le calcul des amendes, la Commission s’autolimite dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, et qu’elle ne saurait s’en écarter sans violer le principe de protection de la confiance légitime. En conséquence, le Tribunal a jugé approprié de réduire le montant de l’amende infligée à 28,9 millions d’euros.

Cette affaire illustre que même des échanges d’informations entre concurrents peuvent être qualifiés de restriction « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que, par sa nature, ils réduisent le degré d’incertitude sur le marché. En outre, le jugement du Tribunal rappelle l’effet extraterritorial du droit de la concurrence de l’Union qui est applicable dès lors que les pratiques anticoncurrentielles produisent des effets sensibles sur le marché intérieur de l’Union, indépendamment du lieu où elles ont été mises en œuvre. Enfin, l’arrêt souligne la portée normative des lignes directrices de la Commission, qui peuvent engager juridiquement cette dernière, bien qu’elles ne figurent pas parmi les actes de droit dérivé de l’Union visés à l’article 288 TFUE.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Activités bancaires : échanges d’informations entre concurrents et application des règles de concurrence de l’Union européenne, actualité n° 25/2025, publiée le 30 juillet 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch

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