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Evaluation de l’état de conservation du loup protégé par la directive « habitats »

Mateusz Miłek – 2 juillet 2025

Dans un arrêt du 12 juin 2025, Eesti Suurkiskjad (aff. C-629/23), la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités d’évaluation de l’état de conservation des espèces animales protégées par la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (directive « habitats »). L’affaire concernait la population estonienne du loup, inscrite à l’annexe V, sous a), de ladite directive en tant qu’espèce d’intérêt communautaire dont l’exploitation peut, en vertu de l’article 14 de celle-ci, faire l’objet de mesures de gestion, pour autant que ces dernières soient compatibles avec le maintien de l’espèce concernée dans un « état de conservation favorable ».

Dans cette perspective, l’Office de l’environnement estonien avait adopté un arrêté fixant le quota de chasse au loup pour la saison 2020/2021 à 140 spécimens, dans le but d’assurer une répartition aussi uniforme que possible de cette population entre les habitats appropriés. Contestant la compatibilité de cet arrêté avec la directive « habitats », l’association de protection de l’environnement Eesti Suurkiskjad a introduit un recours en annulation devant les juridictions estoniennes. Elle s’est notamment appuyée sur une évaluation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Selon cette dernière, bien que l’état de conservation de la population balte du loup puisse être qualifié de favorable, celui de la population estonienne ne saurait être considéré en tant que tel. L’autorisation de chasser 140 loups compromettrait, selon l’association, l’objectif de maintien de l’espèce dans un état de conservation favorable. S’interrogeant sur la compatibilité de cette autorisation avec la directive « habitats », le juge estonien a décidé de saisir la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel.

Dans son jugement, la Cour de justice s’est référée à l’article 1er, sous i), second alinéa, de la directive « habitats », selon lequel l’état de conservation d’une espèce sera considéré comme favorable pour autant que trois conditions cumulatives soient réunies. Premièrement, les données relatives à la dynamique de la population de l’espèce en question doivent indiquer que celle-ci continue et est susceptible de continuer à long terme de constituer un élément viable des habitats naturels auxquels elle appartient. Deuxièmement, l’aire de répartition naturelle de cette espèce ne doit pas diminuer ni risquer de diminuer dans un avenir prévisible. Troisièmement, il faut qu’il existe et qu’il continue probablement d’exister un habitat suffisamment étendu pour que les populations de ladite espèce se maintiennent à long terme.

A la lumière de cette définition, la Cour a précisé que l’état de conservation d’une espèce doit être évalué, en premier lieu, au niveau national, afin d’éviter qu’un état défavorable à l’échelle d’un État membre ne soit dissimulé par une évaluation au seul niveau transfrontalier. Cela étant, des données relatives aux populations de cette espèce dans d’autres États membres voisins, voire dans des pays tiers, peuvent être pertinentes. Il en sera ainsi en particulier dans le cas d’espèces animales protégées qui occupent de vastes territoires, telles que le loup.

La Cour a souligné à cet égard qu’il convient de tenir compte de tout changement prévisible susceptible d’affecter les échanges entre la population du loup présente en Estonie et les populations de cette espèce présentes dans les pays voisins. A ce titre, elle a mentionné la construction en cours de clôtures frontalières entre, d’une part, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, et d’autre part, la Biélorussie et la Russie, qui constitue un tel changement.

En outre, la Cour a indiqué qu’il convient également de prendre en considération le niveau de protection juridique accordé à l’espèce dans les pays tiers voisins. En l’absence d’une protection équivalente à celle assurée par la directive « habitats » ou, à tout le moins, par la Convention de Berne du 19 septembre 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, aucun mécanisme juridique ne permet de garantir la pérennité des populations présentes dans ces pays.

Sur le fondement de ces considérations, la Cour a conclu qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si, au moment de l’adoption de l’arrêté autorisant la chasse au loup, l’état de conservation de cette espèce en Estonie pouvait être considéré comme favorable, et si les mesures de gestion adoptées étaient compatibles avec son maintien dans un tel état.

L’arrêt Eesti Suurkiskjad fournit une clarification bienvenue, en ce qu’il précise que l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce protégée par la directive « habitats » ne saurait se fonder exclusivement sur l’examen au niveau transfrontalier, au risque de dissimuler une situation défavorable au niveau national. La Cour demeure néanmoins attentive aux spécificités des espèces dont l’aire de répartition dépasse les frontières d’un seul État membre, en indiquant des éléments contextuels susceptibles d’influencer leur conservation à l’échelle nationale. Il appartiendra désormais aux juridictions nationales de faire usage de cette marge d’appréciation, afin de veiller à ce que les objectifs de conservation poursuivis par la directive « habitats » ne soient compromis.

Reproduction autorisée avec la référence suivante : Mateusz Miłek, Evaluation de l’état de conservation du loup protégé par la directive « habitats », actualité n° 21/2025, publiée le 2 juillet 2025, par le Centre d’études juridiques européennes, disponible sur www.ceje.ch

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